Une centaine de participants étaient présents jeudi 8 février à Villefranche pour un débat participatif sur le thème : "INSECURITE : FACE A L’ECHEC DE SARKOZY, COMMENT CONSTRUIRE UN ORDRE JUSTE ?". Voici la synthèse de nos débats, animés avec mon ami Lilian ZANCHI, député socialiste de Villeurbanne.
Le thème de ce débat a été choisi pour trois raisons : d’abord parce que les violences constituent le quotidien de millions de gens et qu’elles impactent de nombreux aspects de la vie de chacun (éducation, logement, transports, pauvreté, famille…) ; ensuite parce que la gauche est souvent présumée laxiste ou incompétente sur le sujet alors qu’elle tente seulement d’en avoir une vision équilibrée et durable ; enfin parce que le ministre Sarkozy a échoué sur ce terrain depuis 2002 (la quasi-totalité des formes de violences ont augmenté selon les statistiques du ministère).
Le thème de l’ordre juste permet de rappeler que la gauche fait de la tranquillité des familles et des quartiers une condition de la justice sociale ; il n’y a ni angélisme, ni démagogie à privilégier sur ce sujet une action de longue durée traitant toutes les dimensions : une répression efficace, une prévention sans failles, un respect absolu des personnes et de leurs droits.
La répression : comment punir efficacement pour empêcher la récidive et réparer les torts causés aux victimes et à la société ?
Il n’est pas inutile de rappeler tout d’abord que la justice doit être administrée de façon égale pour tous (trop d’affaires démontrent qu’il y a « deux poids, deux mesures » selon que l’on est puissant ou misérable…), que les ingérences politiques doivent être proscrites en respectant la séparation des pouvoirs (la gauche l’avait fait en 1997 en supprimant les instructions individuelles aux procureurs), et que les moyens de la justice doivent être renforcés pour garantir son indépendance et son efficacité.
Il est également temps de repenser les missions et l’organisation des forces de police, notamment à cause du développement des polices municipales à côté de la police nationale et de la gendarmerie. Il faut mieux distinguer les missions de proximité qui permettent de connaître, de rassurer et de prévenir (qui peuvent être principalement les missions des polices municipales), et les missions de protection, d’intervention et d’élucidation (qui sont du ressort exclusif de la police nationale et de la gendarmerie). Pour qu’elle soit efficace, la police de proximité doit être constituée de policiers d’expérience, habitant si possible les quartiers où ils travaillent, avec une formation adaptée
L’action du gouvernement actuel en matière de police dans les quartiers « sensibles » se résume le plus souvent à envoyer des « troupes de choc » comme les CRS ou les BAC au moindre incident ou tout simplement pour intimider ; ces méthodes ne peuvent pas contribuer à faire baisser la tension ou à faire changer le regard porté sur la police, notamment chez les plus jeunes. Il faudra renforcer ce qui a été engagé par le gouvernement Jospin, à savoir la diversification du recrutement dans la police, pour qu’elle soit plus à l’image de la société. La réorganisation de la police est une question d’intérêt général car le risque est réel que la « sécurité privée » se substitue à la police (il y a déjà en France plus d’agents de sécurité privée que de forces de sécurité publique !).
Les sanctions visant la délinquance juvénile doivent être adaptées pour remplir un double objectif : rétablir la notion d’autorité, autant que réparer concrètement le préjudice collectif ou individuel subi (les mesures de réparation existent mais il y a un trop grand empilement des dispositifs et une faiblesse des moyens qui leur sont consacrés). L’enfermement carcéral, dont l’objectif est d’isoler des individus de façon à éviter qu’ils nuisent à la société, n’est le plus souvent pas adapté à des jeunes encore en phase de maturation personnelle, d’où l’idée des internats, alliant l’aspect éducatif, l’utilité sociale et la notion d’autorité ; la droite avait promis en 2002 l’ouverture de plusieurs dizaines de centres éducatifs renforcés, mais seuls quelques uns ont été construits.
La prévention : quelles politiques mettre en œuvre pour limiter les actes de violences ?
Les quartiers où les violences sont les plus visibles sont toujours ceux dans lesquels la présence des services publics est devenue limitée voire inexistante : l’Etat ne doit pas seulement être assimilé à la répression ou à l’urgence, mais aussi à la proximité quotidienne ; il faut donc réimplanter des services publics (Poste, Sécurité sociale, équipements collectifs…), et décloisonner les intervenants publics (médiateurs, policiers, gardiens d’immeubles…) ou associatifs (professionnels du travail social), pour qu’ils travaillent ensemble autour de projets de territoires. Mais pour réimplanter une vie sociale propice à la tranquillité, rien ne peut remplacer une solidarité de quartier et de voisinage aujourd’hui en voie de disparition ou malheureusement limitée aux communautés ethniques ou religieuses.
La faiblesse du noyau familial est bien souvent à l’origine d’une incapacité à encadrer les jeunes et à leur transmettre des règles de vie collective ; il faut donc dans certaines situations intervenir pour aider les parents à tenir leur rôle, lorsqu’ils ne sont plus capables d’assurer leur autorité, et même les aider à construire des projets familiaux. Mais la stigmatisation des familles est improductive, notamment par la suppression des allocations familiales, qui est déjà possible mais qui ne fait souvent qu’enfoncer ces familles ; en revanche, il pourrait être possible de les transférer à un organisme d’accueil lorsqu’un enfant est placé pour une durée déterminée. Il faut enfin pousser un certain nombre de parents à oser se confronter à l’école et au collège, avec lesquels ils ont parfois des rapports conflictuels en raison de leur propre difficile passé scolaire.
Le rôle des enseignants est évidemment fondamental, non seulement pour assurer le nécessaire apprentissage de la loi et des règles à l’école et en société, mais aussi pour fédérer autour de l’institution scolaire l’ensemble des acteurs qui interviennent dans la vie des jeunes afin de prévenir les violences ; il leur revient également de réhabiliter le mérite et le goût de l’effort afin de promouvoir une émulation positive et de transmettre aux enfants le goût de l’avenir.
Le respect des personnes : comment réhabiliter le cadre de vie pour restaurer la dignité ?
L’obsession sécuritaire tend de plus en plus à fragiliser le respect que l’on doit aux personnes : ce n’est pas parce qu’une famille connaît de graves difficultés sociales qu’elle crée nécessairement des problèmes de sécurité ou qu’elle ne sait pas encadrer ses enfants (c’est pourtant ce que sous-entend Sarkozy) ; ce n’est pas parce que l’on a commis des actes de vandalisme ou proféré des injures ou menaces que l’on doit être tabassé ou humilié (c’est pourtant ce qui se passe dans certains commissariats) ; ce n’est pas parce que l’on est jeune ou d’origine étrangère que l’on doit être stigmatisé comme un délinquant potentiel (c’est pourtant ce que Sarkozy voulait dire en employant le mot « racailles »)…
Plus grave, notre société toute entière semble oublier que chacun a le droit à l’erreur et doit pouvoir être réhabilité, a fortiori concernant les plus jeunes. S’il n’y a pas fondamentalement d’excuse sociale à des actes criminels voire barbares, aucune réponse durable ne pourra être durable et efficace si nous ne répondons pas à la détresse économique et sociale : rien ne sera possible sans un recul massif de la pauvreté et de la précarité, qui sont les sources principales d’un sentiment général d’insécurité. Combattre les situations « criminogènes » passe aussi par la lutte contre l’argent facile des trafics, qui fournissent une dangereuse alternative à l’absence d’intégration sociale et professionnelle de nombreux jeunes.
Enfin, une action d’envergure sur le logement et l’urbanisme des quartiers dégradés est nécessaire, en associant les habitants, les commerçants, les services publics et les bailleurs, afin que chacun se sente collectivement concerné par l’amélioration du cadre de vie ; trop souvent, l’agitation et la provocation sociales proviennent d’un sentiment de dégradation de l’environnement auquel chacun est lié et s’identifie, notamment lorsque existe un trop fort contraste avec un centre-ville rénové et bien entretenu. La dignité de millions de Français est à ce prix.
Conclusion : faire reculer le sentiment d’insécurité
Faire entendre une voix ferme mais progressiste, efficace et durable, n’est pas simple dans un contexte de surenchère politique et médiatique sur la sécurité. C’est pourtant notre rôle, et c’est conforme aux valeurs que nous défendons : socialistes, nous portons d’abord notre attention sur les conditions de vie de nos concitoyens ; engagés à gauche, nous croyons que l’éducation et l’apprentissage des règles en société sont à la base de la démocratie ; républicains, nous sommes intransigeants sur le respect des droits des personnes et de leur dignité.
Dans une société devenue violente sous bien d’autres aspects dont on parle peu (violences au travail, violence économique, violence dans les médias…), et faisant l’apologie permanente de la consommation et de l’appropriation, la voie de la Raison est étroite mais nous devons faire confiance à l’intelligence des gens et promouvoir une valeur qui résume la problématique qui est la nôtre : l’urbanité.
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